Le Grateful Dead était plus une communauté ambulante qu'un groupe, même si le guitariste Jerry Garcia un rôle central. Les musiciens entretenaient en effet une relation symbiotique avec leur public : les Deadheads, une troupe de fidèles hippies qui les suivaient partout depuis la fin des années 60. Avec ses trois décennies d'existence, le groupe a incarné la survivance la plus coriace de l'utopie psychédélique.
Les origines de l’orchestre remontent au début des années 60. Comme beaucoup de jeunes musiciens, Jerry Garcia se passionne pour l’inépuisable terreau des musiques traditionnelles américaines : le folk, la country, le bluegrass, le blues. Il joue de la guitare et du banjo dans des clubs fréquentés par d’autres aficionados. Progressivement, il rencontre le guitariste Bob Weir, le bassiste Phil Lesh, le batteur Bill Kreutzman et le claviériste Ron McKernan. Ils jouent ensemble dans de petites formations locales avant de former The Warlocks, en 1965.
Grâce à divers atouts (de solides qualités techniques, un intérêt pour l’innovation technologique, l’aide du parolier Robert Hunter), les musiciens vont dès lors se trouver en plein cœur de la révolution psychédélique, qui secoue San Francisco à cette époque. Dès 1965, ils participent aux Acid-Tests, organisés par Ken Kesey, au cours desquels le public est invité à découvrir les effets du LSD.Fascinés par les mystiques orientales, l’élargissement de la perception, les théories politiques d’extrême gauche et la musique électrique, des chevelus aux vêtements bariolés, qu’on surnommera bientôt « hippies » poussent comme des champignons dans le quartier d’Ashburry. Les performances des Warlocks (qui se rebaptiseront Grateful Dead en fin d’année) satisfont toutes les aspirations de cette jeunesse révolutionnaire. Largement improvisées au cours de happenings, elles mobilisent des influences multiples, du free jazz aux musiques électroniques, et cherchent à susciter l’hypnose, la transe, faisant du rock une expérience communautaire aussi mystique qu’hallucinée.
Il existe malheureusement peu de traces de cette période musicale du groupe. Mais tous les témoins s’accordent à reconnaître que leur premier album éponyme, paru en 1966 chez MGM, reflète mal les qualités musicales de leurs performances. Les choses s’améliorent très nettement avec le triptyque suivant : « Anthem Of The Sun » (1968), « Aoxomoxoa » (1969) et « Live/Dead » (1969), qui contient une mythique improvisation de Jerry Garcia sur l’épique « Dark Star ». Propulsé par le fameux « Summer Of Love » de 1967, Grateful Dead y reflète fidèlement l’excès et le brio d’une époque où tout était permis, y compris les morceaux de 23 minutes ! Associé de près aux drogues, le groupe s’acquiert sa base de fidèles.
Pourtant le groupe renonce bien vite à son esthétique free et psychédélique. Sans doute influencés par le virage country des Byrds – et découragés par le coût astronomique de leurs albums expérimentaux – les musiciens du Dead décident de revenir à leurs premières amours : la musique des bons vieux terroirs américains. Et une fois de plus, ils sont parfaitement dans l’ère du temps. Le mouvement hippie, perdant sa dimension contestataire et urbaine, se lance dans l’expérience du « retour à la terre ». De plus, cette évolution musicale ne change rien au contenu « sous influence » des paroles. « Casey Jones », sur l’album « Workingman’s Dead » (1970), s’impose comme un nouvel hymne à la consommation de drogues.
Le groupe paiera cher son indolence face à ces dernières. Après trente années vécues dans un long trip, Jerry Garcia sera retrouvé mort en 1995 dans sa chambre d’hôtel, suite à une dernière ingestion fatale. Au cours de ces longues années, le groupes aura vu mourir ses trois claviéristes (Ron McKernan d’une maladie liée à l’alcool en 1972, Keith Godchaux d’un accident de voiture en 1979 et Brent Mydland d’une overdose en 1990). Il aura connu des moments d’inspiration, tels le live Dylan & The Dead, en 1986, et des impasses. Mais il aura, envers et contre tous, prouvé au monde la tenacité d’une utopie décidément increvable. Les musiciens survivants continuent aujourd’hui de jouer partout sur le territoire américain et ont obtenu un certain succès en 1998 au cours de leur tournée mondiale, sous le nom de The Other Ones.